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Je suis un soldat.

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Message par Keith Darrenfall Lun 10 Fév - 13:49

Le ciel aurait été clair sans les longs drapeau de fumée qui montaient des incendies qui avaient été allumés dans la plaine pour désorienter les hommes. Le soldat enfila son casque, et, déjà, il sentit son poids écraser ses tempes et peser sur son crâne, presser ses cheveux courts contre sa peau pâle.
Il posa une main glacée contre le flanc paisible de sa monture, et il lut dans les lignes de ses muscles puissants le récit de chacune des batailles qu'il avait mené, le nom des soldats qu'il avait porté avant lui. Tout autour de lui s'agitait selon un mécanisme parfait. Des lignes de soldats en croisaient d'autres, s'armant au fur et à mesure de leur parcours avant de rejoindre le front et de s'aligner conformément aux ordres de leurs supérieurs. Les chevaux étaient sellés, caparaçonnés et parés des armoiries de la maison, déjà tournés vers le champ de bataille et tenus par la bride par des jeunes garçons qui se dandinaient en attendant le signal du départ, prêts à ruer vers une colline depuis laquelle ils pourraient observer le massacre.

Le soldat se hissa sur sa selle et s'engagea dans un chemin que d'autres cavaliers avant lui venaient de tracer. Les premières démangeaisons de la monte commençaient à prendre son entrejambe, mais il ne broncha pas, et encaissa sans ciller les ordres que les sergents hurlaient en circulant dans le campement. L'armée s'ordonna rapidement en plusieurs blocs unis sous différents étendards qui représentaient leur fonction et permettaient aux officiers de les identifier et de les coordonner pendant le combat.
Il n'avait pas l'habitude de combattre des Humains, mais espérait d'une bataille rangée davantage de sécurité que dans les nombreuses opérations de guérilla qu'il avait du mener au cours de sa vie. Il vit, en face, les troupes qu'il allait bientôt affronter. Elles étaient éparpillées en plusieurs carrés imprécis répertoriés par la couleur de leurs tenues de cuir et de mailles, et il n'y avait pas de cavalerie. C'était une armée de miliciens. Des hommes sans trop d'expérience qui n'avaient de soldats que l'armure.
Un soucis moral pris brièvement l'esprit du soldat, et fut bientôt remplacé par la satisfaction d'une bataille remportée avec aisance. Il y aurait moins de morts, moins de risques.
Le nasal de son heaume lui écrasait le nez et il était contraint de le remuer régulièrement pour éviter les désagréments causés par le casque sur sa respiration. Il était trop serré, ou trop petit, et, quand il le réalisa, il maudit celui qui le lui avait donné et jura sur sa foi qu'il le lui ferait payer. Le soldat s'incrusta dans le rang de cavaliers. Il avait été assigné à la première ligne de la première charge, et, s'il savait qu'il s'agissait d'un honneur, il le percevait davantage comme une punition.

Ses yeux balayèrent la ligne qui lui faisait face. Ils n'auraient aucune chance de résister, et pourtant, ils se tenaient devant eux sans défaillir. Il éprouva presque un élan de pitié pour ses adversaires, mais la douleur que lui infligeait son casque balaya son sentiment. Ses cheveux étaient moites, et il sentait la sueur couler sur son front, son nez et autour de ses yeux. Froide. En phase avec les autres cavaliers, il amorça le trot, qu'il maintint avec la ligne jusqu'à une distance à peine suffisante. Suffisante pour permettre à sa monture de monter à son plus grand galop.
C'était toutefois une mesure nécessaire. Nécessaire pour préserver la ligne le plus longtemps possible, et pour économiser les forces de l'animal.
Les lances des miliciens qui faisaient front étaient trop courtes, pas même des piques. Ils n'avaient pas eu le temps de se préparer correctement. Par ailleurs, le soldat savait la mesure stratégique qui avait été mise en place pour éviter le plus de morts possible. Le fief qu'ils attaquaient se trouvait en aval d'une vaste colline, et les archers avaient un avantage de portée considérable.
La cavalerie encaissa les salves de flèches sans discontinuer, épargnée grâce aux épaisses armures de plaques qui couvraient et les cavaliers et leurs montures. Ce n'est que quand ils arrivèrent à portée d'arbalètes que leurs rangs s'amoindrirent. Le soldat sentit la peur nouer sa gorge, et il talonna sa monture encore plus fort en poussant un hurlement sauvage qui se mêla à ceux de tout le reste de la troupe.
Une pluie de flèches tomba sur les miliciens alors que la cavalerie était à moins de cinquante mètre, éparpillant la ligne qu'ils s'étaient efforcés de constituer.

Le soldat avait déjà mené de nombreuses charges, mais la douleur qui fusa dans son bras quand sa lance percuta un premier corps, et que son cheval s'enfonça dans les lignes comme un couteau dans du beurre intensifia sa rage.
La cavalerie parcourut plusieurs dizaines avant que leur élan ne soit freiné par la masse, et les lances cédèrent la place aux épées et aux haches. La piétaille n'était pas loin derrière eux et ne tarderait pas à les rejoindre dans la mêlée, mais, en attendant, ils devaient survivre.
Le soldat le savait, et il savait également l'avantage que lui conférait sa position haut perchée par rapport aux fantassins. Le concert des lames qui s'entrechoquaient, des hurlements de douleur ou de rage, le bruit de la chair contre la chair et des corps contre le sol, de l'acier qui pénétrait les corps fit monter le sang aux tempes du soldat. Des bras venaient agripper son armure, et il moulinait avec son glaive pour s'en débattre.

Puis il fut tiré au sol. Sa chute fut brutale, mais atténuée par le milicien sur lequel il s'était écroulé, le poids de son armure ayant suffit à en venir à bout. Les coups s'enchainèrent sur son armure, les foyers de douleur se multipliaient si vite qu'il finit par l'oublier. Il savait sa faiblesse, une fois au sol, et il ne pouvait plus compter que sur ses frères d'armes. Les miliciens s'agglutinaient autour de lui et tentaient avec rage de lui arracher son casque, de percer son armure où elle était plus faible, mais il serrait les jambes, les bras contre sa poitrine, et les mains sur son casque pour les empêcher d'atteindre sa gorge.
Il n'entendait plus rien, ne sentait plus rien, et l'instant lui parut si long qu'il crut étouffer avant de sentir enfin les étreintes de ses assaillants se relâcher, progressivement. La piétaille avait rejoint la bataille, et les combats se concentraient sur le front. Sa position avait été dégagée par un autre cavalier qui lui, avait su mettre pied à terre avant d'être désarçonné. Il sentit sa poigne de fer sur son épaule, et ses pieds regagner la terre, ses jambes supporter à nouveau le poids important de son armure.

Son souffle était grave, rauque, saccadé. Il dut enlever son casque pour dissiper le sentiment d'étouffement qui le gagnait, et l'envoya s'écraser contre la face d'un milicien enragé qui tentait de le prendre par surprise. Les défenseurs espéraient gagner un avantage en allumant d'immenses feux autour du champ de bataille pour aveugler leurs adversaires, mais cela amputait autant les assaillants que leurs propres hommes. De la cendre embuait la vue du soldat et il la sentait se coller à ses joues, s'insinuer dans son nez, rejoindre le sang pâteux qui s'en écoulait déjà et coulait dans sa barbe hirsute.
Le pire était la sensation qu'elle diffusait dans sa bouche. Sa gorge était asséchée, et le goût qu'elle propageait lui donnait des vertiges. Il savait les contenir, et la fureur lui faisait oublier son tourment, guidant son bras et son glaive en travers des corps de ses victimes qui s'amoncelaient tout autour de lui.
La sueur rendait chacun de ses mouvements désagréable, et le sang qui commençait à coaguler sur son armure, avec les restes de cadavres qui s'y collaient le faisait ressembler à un non-mort.

Il savait que les siens dominaient le champ de bataille. Il le savait car, où qu'il tourne son regard aveuglé par la rage, il ne trouvait aucune résistance. Les miliciens étaient éparpillés et luttaient pour leur survie. Puis une implacable onde de douleur inonda son flanc tandis qu'il luttait contre un jeune homme armé du reste d'une lance. Il ne les entendit pas à cause du bruit, mais il sentit ses os se briser sous l'assaut de l'imposant marteau qui venait d'enfoncer les plaques de son armure.
Le soldat redoubla de fureur. La fureur de vivre. De survivre. Comme un chien acculé, il lutta pour ne pas mourir, lança son glaive en travers des côtes du milicien et voulut se retourner, tombant un genou à terre tant la douleur restreignait ses mouvements.
Il leva à nouveau son glaive, mais le soleil qui filtrait entre les langues de fumée l'aveugla. Il n'aperçut que la silhouette massive d'un homme tout en armure; peut-être un chevalier, qui armait déjà son prochain assaut.

Son glaive ne suffirait pas. La tête du marteau percuta son coude et lui retourna le bras, lui arrachant un hurlement inhumain dont l'écho se mêla à la cacophonie du combat. Son bras lui semblait déjà mort, et il retomba mollement contre son corps. Il fronça les sourcils. Le soldat peinait à réaliser qu'il mourrait. Le sang ne coulait pas, ou il ne le voyait pas sous son armure, mais il le sentait, poisseux et pesant, contre son flanc abimé.
Le marteau  s'écrasa contre sa poitrine. Tout l'air qui chargeait ses poumons quitta son corps qui fut jeté au sol par la puissance de l'assaut. Son bras valide était parti en arrière et chuta derrière sa tête. Il sentit le sang envahir ses poumons et il étouffa, des perles écarlates bullant au coin de ses lèvres tremblantes. Il tenta d'articuler quelques mots, mais il ne fit que faire mousser son sang.

Ses yeux restèrent ouverts comme deux fenêtres vers le ciel sombre, mais il ne voyait déjà plus. Le bruit quitta progressivement ses oreilles, laissant place à un silence agréable. Les sensations commencèrent à déserter son corps, et il tenta de remuer les bras et les jambes pour se convaincre qu'il était encore en vie. Ses poumons appelaient de l'air qui ne venait plus, le nez et la bouche envahis par le sang.
Puis il ne se trouva plus en mesure de commander à ses bras, à ses jambes. Bientôt, sa poitrine cessa de se soulever. Il sentit son coeur arrêter de battre, et la fraction de seconde qui sépara cet instant de celui où son cerveau s'éteignit définitivement lui parut une éternité.
Keith Darrenfall
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